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Ce fut par la radio que Brolin apprit la nouvelle.
Trois personnes venaient d’être hospitalisées suite à une morsure d’araignée. L’une d’entre elles était morte quelques minutes plus tôt, les deux autres étant dans un état jugé « sérieux ».
Trois en une journée.
Le tueur accélérait le rythme.
Avant d’arriver devant l’immeuble où logeait Debbie Leigh, Brolin entendit un nouveau flash d’information annonçant qu’une quatrième personne avait été mordue. Les autorités sanitaires de la ville prenaient le problème très au sérieux et la police, tout en admettant qu’il s’agissait peut-être d’un acte criminel, ne faisait pour autant aucune recommandation de prudence, jugeant le problème « préoccupant » bien que relativement « localisé » au regard du nombre d’habitants à Portland.
Brolin coupa la radio et sortit. Il était au sud du centre-ville, devant un immeuble moderne. C’était déjà un mauvais point pour lui. On savait que le tueur emportait ses victimes et les conservait deux ou trois jours à ses côtés, ce qui ne semblait pas pensable dans un immeuble.
La boutique.
Oui, il faudrait y faire un tour, c’était peut-être là que les preuves se trouvaient.
Le détective privé entra dans le hall à la recherche des escaliers vers le sous-sol, vers le parking. Une fois en bas, il entreprit d’examiner toutes les places sur les deux niveaux jusqu’à localiser le véhicule de Debbie Leigh dont son ami au service des immatriculations lui avait donné une description ainsi que le numéro de plaque minéralogique.
La voiture était au premier niveau. Brolin posa la main sur le capot, il était chaud. Ce qui n’a rien d’étonnant avec ce temps, s’entendit-il dire. Pour peu que Mlle Leigh laisse sa voiture dehors toute la journée quant elle travaille...
Au moins il pouvait légitimement supposer qu’il la trouverait chez elle.
Il remonta dans le hall, vérifia le numéro d’appartement sur les boîtes aux lettres et prit l’ascenseur jusqu’au quatrième et dernier étage.
Les options étaient restreintes. Brolin devait être naturel, ne pas éveiller ses soupçons, faire comme s’il avait d’autres questions sur les araignées, des points urgents à clarifier. Une fois dans l’appartement, face à face, il pourrait la sonder.
Il espérait être plus fort qu’elle à ce petit jeu.
Sa main s’égara sur sa hanche pour tâter le renflement de son arme à feu.
Ne pas éprouver de stress, être calme. Il y avait plus de neuf chances sur dix pour que Debbie Leigh soit une femme respectable.
Il frappa à la porte.
Brolin espérait simplement détecter à temps s’il était sur la dixième possibilité. La porte s’ouvrit.
*
**
Annabel était au volant de la voiture que Brolin lui avait louée, en direction du nord-ouest de Portland.
Le soleil était à présent bas sur la ligne d’horizon, flirtant avec les sommets de collines, il les arrosait de son ornement du soir.
Brolin avait insisté : « Tu te gares à bonne distance. Ça ne sert à rien de te faire remarquer, tu t’assures juste qu’elle est chez elle et tu te planques pour la surveiller. Au moindre détail qui te semble suspect, tu appelles Larry. Surtout, tu ne prends pas de risque, tu y vas pour la surveiller, c’est tout, au cas... » Elle l’avait interrompu. Il était agaçant parfois, à vouloir contrôler la situation à la perfection. Elle n’était pas stupide non plus, elle connaissait son boulot et savait qu’elle n’avait pas de mandat – qui, même si elle avait été sur sa juridiction, lui aurait probablement été refusé par manque de preuves – et que Gloria Helskey n’avait très certainement rien à se reprocher.
Elle n’y allait que pour faire un peu de surveillance.
Et si l’occasion se présentait, elle pourrait toujours s’approcher un peu. Pour ouvrir le coffre de la fameuse voiture rouge par exemple, pour y chercher une trace de soie. Annabel n’avait aucune idée de la manière dont elle ouvrirait ce coffre, elle se faisait confiance. Elle improviserait.
La voiture quitta l’autoroute 26 à Cedar Mill, une ville de la banlieue, et traversa la bourgade pour rejoindre une rue moins construite qui serpentait entre les arbres.
Le salaire de Gloria Helskey devait être confortable puisqu’elle possédait un appartement à Coos Bay sur la côte, et une ferme rénovée à proximité de son travail. Annabel s’engagea dans l’impasse qui conduisait à cette ferme isolée par un pâturage d’une vingtaine d’hectares où n’évoluait plus un seul animal.
La barrière de bois qui délimitait l’accès à la propriété n’était pas fermée. À en juger par son état, elle ne devait guère être déplacée souvent, remarqua Annabel au passage.
Elle suivit le chemin au gré des ornières capricieuses en admirant l’étendue paisible qui l’entourait. C’était un endroit agréable pour vivre. Reposant.
Et un peu triste, pensa Annabel. Oui, c’était triste de voir toute cette herbe sans animaux pour s’y épanouir. Ça manquait de vie.
Au bout de la route, Annabel fit prendre un peu d’élan à sa voiture pour monter le talus qui masquait la ferme. Son cœur tressauta. Elle ralentit, presque à l’arrêt.
Les mains crispées sur le volant, elle s’enfonça dans son siège.